Dans les années 1980, le programme de lutte contre l’obésité de la clinique Kaiser Permanente enregistre un taux d’abandon d’environ 50% malgré la perte de poids des participants. Vincent Felitti, alors à la tête du département de médecine préventive, mène des entretiens avec ces individus pour comprendre les raisons de leur abandon. Il découvre que sur les 286 personnes interrogées, une majorité avait été victime d’abus sexuels durant leur enfance. Ces découvertes ont conduit Felitti à suggérer que la prise de poids pourrait être une réponse adaptative à la dépression, à l’anxiété et à la peur.
Entre 1995 et 1997, Vincent Felitti et Robert Anda, des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC), ont ensuite mené une enquête sur les expériences traumatisantes vécues durant l’enfance. Parmi les 26000 membres de Kaiser Permanente sollicités, 17337 ont participé à l’étude. Les participants ont été interrogés sur différents types de traumatismes subis durant leur enfance, identifiés dans des recherches antérieures. C’est ainsi que nait l’étude ACE (Adverse Childhood Experiences) – ou Expérience Adverse de l’Enfance.
Résultats de l’étude des Expérience Adverse de l’Enfance
Environ deux tiers des personnes ont signalé au moins une expérience traumatisante dans l’enfance. Les résultats de l’étude ACE suggèrent que la maltraitance et les dysfonctionnements familiaux durant l’enfance contribuent aux problèmes de santé qui apparaissent des décennies plus tard. Ces problèmes incluent les maladies cardiaques, le cancer, les maladies chroniques, les accidents vasculaires cérébraux et le diabète, mais aussi divers problèmes sociaux et comportementaux, y compris des troubles liés à l’utilisation de substances. De plus, de nombreux problèmes associés aux ACE ont tendance à être comorbides ou concomitants.
Comparativement à un score ACE de zéro, le fait d’avoir quatre expériences adverse de l’enfance augmente de :
- Sept fois (700%) le risque d’alcoolisme
- Double le risque d’avoir un cancer, un accident vasculaire cérébral, ou une maladie cardiaque
- Multiplie par quatre le risque de bronchite chronique et d’emphysème
- Multiplie par 12 (1200%) le risque de tentative de suicide
- Multiplie par 4.6 le risque de dépression
Un score ACE supérieur à six est associé à une augmentation de 30 fois (3000%) le risque de tentatives de suicide et une diminution de la durée de vie d’environ 20 ans.
Risque de maladie auto-immune
Depuis la publication de l’étude ACE, des scientifiques ont examiné de près la relation entre les ACE et les maladies auto-immunes. Les résultats de la recherche montrent une forte corrélation entre le stress de l’enfance et les maladies auto-immunes, tant chez les enfants que chez les adultes. En collaboration avec les docteurs Felitti et Anda, la chercheuse Shanta Dube a analysé les données de plus de quinze mille participants de l’étude ACE, en examinant leurs scores ACE et la fréquence de leurs hospitalisations pour des maladies auto-immunes telles que la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaque, le lupus, le diabète de type 1, la maladie cœliaque et la fibrose pulmonaire idiopathique. Les découvertes de Dube sont frappantes : une personne ayant un score ACE de deux ou plus a deux fois plus de risques d’être hospitalisée pour une maladie auto-immune qu’une personne sans ACE.
TDAH, trouble de l’apprentissage ou du comportement
Nadine Burke Harris, pédiatre, chercheuse et ancienne chirurgienne général de Californie, a révélé dans une enquête que les patients ayant subi quatre expériences adverses pendant l’enfance (ACE) ou plus sont 32,6 fois plus susceptibles d’être diagnostiqués avec des problèmes d’apprentissage ou de comportement. Ces enfants sont souvent diagnostiqués avec un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ou comme ayant des « problèmes de comportement », alors que ces troubles sont directement corrélés à des niveaux toxiques d’adversité. Actuellement, le TDAH est un diagnostic basé uniquement sur les symptômes, avec des critères incluant l’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité, mais le Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux (DSM) ne mentionne pas la biologie sous-jacente de ce trouble. Un score ACE de 4 ou plus suggère que le problème sous-jacent n’est probablement pas un TDAH ordinaire, mais plutôt une dérégulation chronique du système de réponse au stress, qui inhibe le cortex préfrontal, sur-stimule l’amygdale et perturbe le mécanisme de régulation du stress.
Études ultérieures
L’étude ACE a donné lieu à plus de 70 articles portant sur la prévalence et les conséquences des Expériences Adverses de l’Enfance. Les questions de l’étude initiale ont été utilisées pour élaborer un questionnaire de dépistage en 10 points.
Le Behavioral Risk Factor Surveillance System (BRFSS), géré par les CDC, est une enquête annuelle menée par vagues par des groupes de départements de santé aux États-Unis. Les résultats de cette enquête portent aujourd’hui sur un échantillon de 264,882 participants.
Conditions de santé associées aux ACE
Les tableaux suivants regroupent les résultats de différentes études sur l’impact des ACE pour différents symptômes. Ils ont été produits par ACEs Aware, la première initiative nationale visant à dépister les patients pour les Expériences Adverses de l’Enfance (ACE) aux États-Unis. Nous avons obtenu la permission de reproduire ces tableaux.
Vous trouverez les tableaux originaux en anglais accompagnés des références scientifiques étudiant le lien entre le nombre d’ACE et chaque symptôme répertorié en suivant ce lien.
Conditions de santé associées aux ACE : Pédiatrie
Symptome ou Condition de Santé | Pour >= N ACE (comparé à 0) | Multiplication du Risque |
---|---|---|
Asthme Allergies Dermatites & Eczéma Urticaire | 4 4 3 3 | 1.7 - 2.8 2.5 2.0 2.2 |
Incidence accrue de maladies chroniques, gestion difficile Symptômes somatiques inexpliqués (ex. : nausées/vomissements, étourdissements, constipation, maux de tête) Maux de tête | 3 3 4 | 2.3 9.3 3.0 |
Énurésie; encoprésie | -- | -- |
Surpoids et obésité Échec de croissance; mauvaise croissance; nanisme psychosocial | 4 -- | 2 -- |
Mauvaise santé dentaire | 4 | 2.8 |
Infections accrues (virales, infections respiratoires supérieures, pneumonie, otite moyenne, infections urinaires, conjonctivite, infections intestinales) | 3 | 1.4 - 2.4 |
Ménarche tardive (> 14 ans) | 2 | 2.3 |
Troubles du sommeil | 5 | 3.1 |
Retard de développement Problèmes d'apprentissage et/ou de comportement | 3 4 | 1.9 32.6 |
Redoublement d'année scolaire Non-réalisation des devoirs Absentéisme au lycée Obtention du diplôme de lycée | 4 4 4 4 | 2.8 4.0 7.2 0.4 |
Agressivité ; bagarres physiques | Par ACE supplémentaire | 1.9 |
Dépression TDAH TDAH, dépression, anxiété, trouble de la conduite/comportement | 4 4 3 | 3.9 5.0 4.5 |
Idées suicidaires Tentatives de suicide Automutilation | Par ACE supplémentaire | 1.9 1.9 - 2.1 1.8 |
Première consommation d'alcool avant 14 ans Première consommation de drogues illicites avant 14 ans | 4 5 | 6.2 9.1 |
Début sexuel précoce (avant 15-17 ans) Grossesse adolescente | 4 4 | 3.7 4.2 |
Conditions de santé associées aux ACE : Adultes
Dans ce tableau, sauf indication contraire, le risque est comparé entre les individus ayant plus de 4 ACE et ceux ayant 0 ACE.
Symptome ou condition de Santé | Multiplication du Risque |
---|---|
Maladie cardiovasculaire (maladie coronarienne, infarctus du myocarde, cardiopathie ischémique) Tachycardie | 2.1 ≥ 1 ACE: 1.4 |
Accident vasculaire cérébral | 2 |
Maladie pulmonaire obstructive chronique (emphysème, bronchite) Asthme | 3.1 2.2 |
Diabete | 1.4 |
Obésité | 2.1 |
Hépatite ou jaunisse | 2.4 |
Cancer | 2.3 |
Arthrite | 3 ACEs, HR: 1.5 ≥ 1 ACE: 1.3 |
Altération de la mémoire (toutes causes confondues, y compris les démences) | 4.9 |
Maladie rénale | 1.7 |
Céphalées Douleur chronique, tous types (en utilisant le trauma z-score) Douleur chronique du dos (en utilisant le trauma z-score) Fibromyalgie Symptômes somatiques non expliqués, y compris la douleur somatique, les céphalées | ≥ 5 ACEs: 2.1 1.2 1.3 ≥ 1 ACE: 1.8 2.0 - 2.7 |
Fracture osseuse | 1.6 - 2.6 |
Handicap physique nécessitant un équipement d'assistance | 1.8 |
Dépression Tentatives de suicide Idées suicidaire Troubles du sommeil | 4.7 37.5 10.5 1.6 |
Anxiété Panique et anxiété Trouble de stress post-traumatique | 3.7 4.5 |
Usage de drogues illicites (quelconque) Usage de drogue injectée, de crack ou d'héroïne Usage d'alcool Usage de cigarettes ou de cigarettes électroniques Usage de cannabis | 5.2 10.2 6.9 6.1 11.0 |
Grossesse chez les adolescentes Infections sexuellement transmissibles, à vie | 4.2 5.9 |
Victime de violence (violence conjugale, agression sexuelle) Perpétration de violence | 7.5 8.1 |
Résilience
Un score ACE élevé ne signifie pas nécessairement que vous subirez certains des effets mentionnés précédemment. Il existe en effet des facteurs de résilience qui peuvent atténuer ces risques.
Par exemple, une personne ayant eu une enfance difficile peut avoir eu accès à des ressources extérieures, comme un animal de compagnie ou un voisin, dont la présence affective et aidante a pu contribuer à surmonter les adversités rencontrées.
Malheureusement, il n’existe pas de règle absolue et nous ne savons pas, à ce jour, mesurer précisément les effets de ces facteurs de résilience sur le score ACE.
Le stress toxique déclenché par les ACE peut également être atténué par l’adoption d’un mode de vie sain. En particulier, les éléments suivants sont reconnus pour leurs effets bénéfiques :
- Des relations sociales soutenantes
- La psychothérapie
- Une nutrition équilibrée
- Une activité physique régulière
- Passer du temps dans la nature
- Un sommeil de qualité
- La méditation (permet de ralentir la détérioration des télomères qui protègent les cellules, eux-mêmes affectés par le stress toxique)
Calculer votre score ACE
Répondez aux questions ci-dessous afin d’obtenir votre score ACE. Notez que ce score indique un risque potentiel, mais un score élevé ne signifie pas nécessairement que vous subirez les effets mentionnés précédemment. En effet, il existe des facteurs de résilience qui peuvent atténuer ces risques.
Vos réponses et votre score sont anonymes, seules vos coordonnées me seront communiqués.
Interprétation du score ACE
Pour un adulte :
- 0 – 3 points, sans conditions de santé associées : Risque faible.
- 1 – 3 points, avec conditions de santé associées : Risque intermédiaire.
- 4 points ou plus, avec ou sans conditions de santé associées : Risque élevé.
Pour un enfant :
- 0 : Risque faible.
- 1 – 3, sans conditions de santé associées : Risque intermédiaire.
- 1 – 3, avec conditions de santé associées : Risque élevé.
- 4 ou plus, avec ou sans conditions de santé associées : Risque élevé.
Références
- Étude ACE (Expériences Adverses de l’Enfance) CDC-KEISER
- Relation entre les abus pendant l’enfance et la dysfonction familiale et plusieurs des principales causes de décès chez les adultes
- David W. Brown et al., “Adverse Childhood Experiences and the Risk of Premature Mortality,” American Journal of Preventive Medicine 37, no. 5 (2009): 389– 96. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19840693
- Cumulative childhood stress and autoimmune diseases in adults
- Toxic Childhood Stress – The Legacy of Early Trauma and How to Heal – Dr Nadine Burke Harris
- Behavioral Risk Factor Surveillance System ACE Data
- ACEs Aware